CHRONIQUES
IA et CSE : Quelques points de repère
Conditions de travail - 31/10/25
L’Intelligence Artificielle (IA) transforme en profondeur notre environnement professionnel.
Le règlement européen sur l'intelligence artificielle (AI Act - (UE) 2024/1689) entré en vigueur le 1er août 2024 vise à garantir que le développement et l'utilisation des produits et productions de l'IA respectent les droits fondamentaux et les valeurs européennes.
Les salariés sont impactés dans leur vie de tous les jours par cet ensemble de technologies. Il appartient aux représentants du personnel dans le cadre du CSE d’accompagner les salariés déjà soumis à ces mutations dont le développement va accélérer.
Une transformation en profondeur qui a déjà des conséquences.
L’IA révolutionne les pratiques professionnelles à tous niveaux :
- Par l’automatisation de plus en plus efficace des tâches répétitives ;
- Par la rationalisation des processus (industriels comme administratifs) ;
- Par le traitement prédictif d’une quantité considérable de données (la DATA) ;
- Par les dispositifs d’assistance décisionnelle.
L’IA n’est pas neutre :
- Elle bouscule les modèles d’organisation ;
- Elle met en défaut (ou elle améliore) les compétences acquises ;
- Elle oblige à une montée en puissance des compétences des travailleurs ;
- Elle perturbe les relations humaines et les droits fondamentaux des salariés.
Le CSE joue un rôle central et peut s’appuyer efficacement sur un droit qui évolue rapidement.
Dans un premier temps, le code du travail prévoit que le CSE est consulté sur les questions relatives à l’organisation du travail, la formation, les conditions de travail ou l’introduction de nouvelles technologies (article L. 2312-8 du code du travail).
Toutefois, la Cour de cassation avait laissé entendre que l’introduction de l’IA ne nécessitait pas systématiquement une telle consultation ou une expertise. (Cassation, 12 avril 2018, n° 16-27.866).
Mais plus récemment, une ordonnance du Tribunal Judiciaire de Nanterre (TJ Nanterre, 14 févr. 2025, n° 24/01457), a suspendu le déploiement d’un logiciel de gestion basé sur l’IA faute de consultation préalable du CSE ! La juridiction considère que même une phase pilote (test) constitue déjà une première mise en œuvre du projet. Le déploiement sans concertation a été qualifié de trouble manifestement illicite.
L’article L. 4121-1 du code du travail impose à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Cette obligation couvre désormais les risques liés à l’IA :
- Surcharge informationnelle ;
- Stress algorithmique ;
- Perte d’autonomie ;
- Surveillance intrusive.
D’autre part, l’article L. 6321-1 du code du travail oblige l’employeur à garantir l’adaptation des salariés à leur poste de travail et le maintien de leur employabilité notamment par l’intermédiaire de formation. Celle-ci sont d’autant plus nécessaires que l’introduction de l’IA implique de profonds ajustements de compétences auxquels le CSE peut contribuer en proposant des actions de formation.
Des enjeux éthiques, juridiques et sociaux pour le CSE.
Parmi ces enjeux figure la protection de la vie privée et des données personnelles. Ainsi, le RGPD (Règlement général sur la Protection des données) impose à l’employeur des obligations de transparence, de proportionnalité, de minimisation et de finalité de traitement. Dès lors, lorsque des algorithmes exploitent les données des salariés à des fins d’analyse de performance ou de profilage, le CSE peut intervenir pour exiger des garanties claires, un droit à l’explication et des audits indépendants (articles L. 2312-26 à L. 2312-35 et L. 2315-91 du code du travail).
A savoir :
Dans le cadre de la consultation sur la politique sociale et l’emploi (article L. 2312-26), le CSE peut se faire assister d’un expert afin d’étudier l’origine, les traitements, la conservation et la pertinence des informations remises au comité. La mission de l’expert est à la charge de l’employeur (article L. 2315-80 du code du travail).
Une justice de plus en plus favorable à une lecture protectrice du droit du travail et dont le CSE doit s’emparer.
L’arrêt du la Cour de cassation (Cassation, 5 novembre 2014, n° 13-22.717) rappelle déjà que toute transformation technologique importante doit faire l’objet d’une négociation ou d’une concertation formelle des institutions représentatives du personnel sous peine d’entrave au dialogue social.
L’arrêt Google Spain SL c. AEPD (CJUE, 13 mai 2014) ouvre le droit à une lecture rigoureuse du « droit à la transparence algorithmique ». Les personnes concernées doivent pouvoir contrôler leurs données, même dans les systèmes automatisés.
L’arrêt CJUE du 27 févr. 2025 (affaire C-203/22) renforce les garanties procédurales en imposant une explication renforcée et un droit à la révision humaine pour toutes les décisions automatisées ayant des effets significatifs sur une personne, y compris dans les relations de travail.
Autant de situations et de principes qui montrent que le CSE ne peut pas être un simple témoin. Il doit aujourd’hui être un acteur averti de la transition numérique et donc de l’IA.
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