CHRONIQUES
Burnout et maladie professionnelle font-ils bon ménage ?


Conditions de travail > Santé - 01/04/14
Aujourd’hui, de plus en plus de personnes sont confrontées à une surcharge de travail, qu’elles doivent effectuer sous pression et avec toujours plus de responsabilités, tout en bénéficiant de moins de soutien, devant parfois subir de l’intimidation voire risquer de perdre leur poste. Personne n’est à l’abri d’un tel événement ; souvent présenté comme la maladie des cadres, en réalité nombreuses sont les professions concernées : directeurs, cadres, enseignants, médecins ou infirmières y sont particulièrement exposés. Mais pas que…24% des agriculteurs se disent victimes de ce trop-plein de pression.
Ce phénomène appelé couramment burnout est restée souvent tabou. Cette question est devenue aujourd'hui beaucoup plus publique, malheureusement, dans des circonstances de crise, à travers des suicides dans certaines grandes entreprises (même si l’on en parle peu, il y a encore eu 10 suicides chez Orange depuis janvier 2014 !).
Ce mot, simple et évocateur, suscite aussi beaucoup de critiques ; ce ne serait là qu’un phénomène des temps modernes. Pourtant, il ne s’agit pas d’une mode mais d’un mal qui a la particularité de toucher surtout les personnalités perfectionniste, ambitieuse et volontaire, voire idéaliste, ne sachant ou ne pouvant pas dire non ni déléguer. Il ne faudrait pas pour autant penser que le burn-out est uniquement lié à un tempérament prédisposé, en réalité c’est le résultat d’une certaine organisation du travail ! Pour ces raisons, le diagnostic d’une telle maladie, qui n’en est pas officiellement une, reste bien difficile à établir.
D’autant qu’en général, les premiers signes n’apparaissent qu’après plusieurs mois de stress professionnel. Cette brûlure interne, comme la définit le psychiatre américain Herbert Freudenberger (qui a utilisé pour la première foi le terme « burn-out en 1974), renvoie souvent à la métaphore d’une bougie qui, après avoir éclairé de longues heures, n’offrirait plus qu’une légère flamme.
En France, plus de trois millions de salariés en seraient victimes. Face à la recrudescence des cas se pose la question de reconnaitre cette souffrance au travail comme étant une maladie professionnelle. Est-ce là le seul moyen pour que les entreprises se saisissent de la question via une politique préventive efficace ?
Récemment, le cabinet de prévention des risques liés au travail, Technologia, a lancé un appel pour que la sécurité sociale puisse reconnaître rapidement de nouvelles maladies professionnelles liées à l'épuisement et au sur-engagement comme la dépression d'épuisement et l'état de stress répété conduisant à une situation traumatique. Cet appel à un grand mérite celui d'ouvrir le débat sur un véritable enjeu de santé publique.
Reconnaître le burnout comme maladie professionnelle ? Oui, mais à quel prix…
Dans cette proposition de reconnaissance, il est demandé d’instaurer une présomption d'imputabilité du burnout à l'organisation du travail, donc à l'employeur. L’indemnisation se ferait ainsi au niveau de sa branche Accidents du travail / Maladies professionnelles, uniquement financée par les entreprises. Le but étant d’avoir une meilleure justice sociale, c’est-à-dire que l’auteur des faits paie la totalité du préjudice. D’ailleurs, pour Jean-Frédéric Poisson, député UMP des Yvelines et ancien rapporteur de la mission d’information sur les risques psychosociaux à l’Assemblée nationale, « la seule manière, au fond, d’avoir une influence sur les entreprises viendra de l’impact qu’aura la déclaration en tant que maladie professionnelle sur les cotisations versées ».
Cette proposition de reconnaissance fait donc finalement le pari que les entreprises finiront par s’apercevoir qu'il est préférable d'investir dans la prévention plutôt que d'indemniser les salariés. Est-ce que cela serait vraiment le cas ? On peut se le demander aujourd’hui lorsque l’on voit, par exemple, que de nombreux employeurs continuent de mettre en place des opens-space alors que, depuis de longues années, ils sont pointés du doigt par des études montrant que les salariés concernés sont plus stressés et moins productifs !
A l'heure actuelle, il est vrai que seuls quelques dizaines de cas par an obtiennent cette reconnaissance. Il faut que la maladie entraîne une incapacité permanente de plus de 25% et qu'un lien "direct et essentiel" avec le travail soit mis en évidence, selon les dispositions en vigueur.
Mais voilà, pour réellement atteindre son objectif de justice sociale, la reconnaissance du burnout comme maladie professionnelle doit aller bien au-delà du seul périmètre de l’entreprise. La justice sociale imposerait que soient garantis les mêmes droits à toutes les catégories de travailleurs - salariés du régime général, mais aussi indépendants, chefs d'entreprises (y compris agricoles) ou encore fonctionnaires des trois fonctions publiques, particulièrement exposés. L'État employeur devrait donc nécessairement mettre la main à la poche…Nos déficits publics nous le permettent-ils véritablement ?
Cela semble en tout cas un sujet pris au sérieux puisqu’un groupe de travail a été réuni par la Ministère du travail le 26 mars 2014 afin de "Clarifier ce que recouvre le burn-out". Composé d'experts, de médecins et de psychologues, ce groupe devrait également définir des moyens de prévention. Pour cela, ils procèderont à des auditions jusqu'en juin. Le résultat des travaux sera publié sur le site www.travailler-mieux.gouv.fr. L'objectif serait donc de donner des recommandations pour mieux prévenir ce syndrome. N’est-ce pas là que se trouve la véritable urgence : enrayer le phénomène en reconnaissant, en amont les organisations du travail susceptibles d’engendrer des situations de burn-out ? Pour cela, il faudrait remettre l’organisation du travail en débat. Il va falloir à notre nouveau gouvernement beaucoup de courage politique pour s’atteler à ce dossier…
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