CHRONIQUES
Le compte pénibilité avance… péniblement !


Conditions de travail - 24/10/14
L'idée sous-jacente de ce dispositif est tout simplement d’éviter pour le salarié de faire face à une situation de travail pénible (article L4162-4 du code du travail). Le Ministère des affaires sociales estime, sur sa page Internet, que seuls 20% des salariés seront concernés.
Quel est le principe ?
Lorsqu'un travailleur est exposé à un ou plusieurs des facteurs de risques professionnels, au-delà des seuils d’exposition définis par décret, cela lui ouvre droit à l'acquisition de points sur un compte personnel de prévention de la pénibilité. Ce dernier est donc ouvert dès lors qu'un salarié a acquis des droits, c'est-à-dire des points, et ceux-ci lui restent acquis jusqu'à leur liquidation ou à son admission à la retraite (article L4162-2 du code du travail).
Chaque trimestre d’exposition à un facteur de pénibilité ajoutera ainsi un point au compte, ou deux points en cas d’exposition à plusieurs facteurs. Le nombre total de points pouvant être inscrit sur le compte est néanmoins fixé à 100 points sur toute la carrière du salarié. Celui-ci pourra convertir tout ou partie de ses points :
-
en temps de formation pour accéder à un métier avec moins ou sans facteur de pénibilité ;
-
en passage à temps partiel en fin de carrière avec maintien de rémunération pour réduire son temps d'exposition aux facteurs de risques ;
- en trimestres de retraite (chaque tranche de 10 points rapportera un trimestre).
En réalité, les 20 premiers points seront obligatoirement utilisés pour la formation, sauf pour les salariés qui sont aujourd’hui trop proches de la retraite pour avoir le temps d’accumuler suffisamment de points. Ceux-ci bénéficieront d’un doublement de leurs points, et ils ne seront pas obligés de les utiliser pour des formations.
Ces différentes possibilités offertes au salarié seront prises en charge par un Fonds spécial, financé par une cotisation de base (due par l’ensemble des entreprises entrant dans le champ d’application du compte) et une cotisation additionnelle (due par les employeurs ayant exposé au moins un de leurs salariés à la pénibilité).
Quels sont les facteurs de pénibilité visés ?
Les décrets sur la pénibilité, qui devaient paraître courant juillet, ont été publiés au Journal officiel… courant octobre ! À compter du 1er janvier 2015, seuls quatre facteurs de pénibilité permettront aux salariés d'acquérir des points : travail de nuit (au moins une heure entre minuit et cinq heures du matin, pendant au moins 120 jours par an), activité exercée en milieu hyperbare (par exemple, en milieu sous-marin, 60 interventions ou travaux par an à 1 200 hectopascals), travail en équipes successives alternantes (impliquant au minimum une heure de travail entre 24 heures et 5 heures, 50 nuits par an), travail répétitif (même geste dans un temps de cycle d'une 1 minute maximum, ou 30 actions techniques par minute en moyenne sur un temps de cycle de plus de 1 minute, pendant au moins 900 heures par an).
À partir de 2016, six autres facteurs de pénibilité se rajouteront (décret n°2014-1159 du 9 octobre 2014) : les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles, les vibrations mécaniques, les agents chimiques dangereux, les températures extrêmes et enfin, le bruit. Curieusement, les risques psychosociaux ne figurent pas dans cette liste alors qu’ils sont si souvent mis en avant…
Des modes d’emploi devraient être élaborés dans les branches afin de définir les modalités adaptées de recensement des expositions, voire des situations types d'exposition pour accompagner la mise en œuvre des 4 premiers facteurs et ainsi faciliter et sécuriser les démarches des entreprises. Un point d'étape est programmé à l'été 2015. Une chose est certaine, la fiche de prévention, établie pour tout salarié exposé à un ou plusieurs risques de pénibilité au travail, est pensée comme la clé d’ancrage de ce dispositif pour l’attribution des points.
Qu’est-ce que la fiche de prévention ?
L'employeur devra établir une fiche de prévention de la pénibilité pour tout salarié exposé à un ou plusieurs facteurs de risques (article L4161-1 du code du travail). Elle recensera, chaque année, les facteurs de risques auxquels le salarié a été exposé au regard des conditions habituelles de travail caractérisant le poste occupé, appréciées en moyenne sur l'année, à partir des données collectives utiles à l'évaluation des expositions individuelles aux facteurs de risques mentionnées dans le document unique. Cette évaluation prendra également en compte, le cas échéant, les situations types d'exposition identifiées dans l'accord de branche collectif étendu. L'employeur pourra également prendre en compte des documents d'aide à l'évaluation des risques, notamment des référentiels de branche, dont la nature et la liste seront fixés par arrêté.
Lorsqu’ils connaîtront les premiers points qui leur auront été attribués au titre de la pénibilité, les salariés pourront bien entendu contester cette attribution (dans un premier temps, auprès de l’employeur). Les Carsat pourront également procéder à des contrôles de la réalité de l'exposition aux facteurs de risques.
Qui va devoir gérer ce nouveau compte ?
Ce n'est ni à l'employeur ni au salarié que revient la gestion du compte personnel de prévention de la pénibilité ! Elle revient aux organismes chargés des prestations d'assurance vieillesse, à savoir la Carsat, la Cnav ou la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole. L'organisme gestionnaire enregistrera sur le compte personnel de prévention de la pénibilité les points correspondant aux données déclarées par l'employeur, à la fin de chaque année civile, et au plus tard le 31 janvier de l'année suivante, via la déclaration annuelle des données sociales (DADS), soit le 31 janvier 2016 pour les premiers points.
Alors que reproche-t-on à ce fameux compte ?
Selon les termes de Thibault Lanxade, un représentant du Médef, il s’agirait d’un « dispositif à la complexité kafkaïenne, source d'insécurité juridique ». Insécurité juridique pour les salariés également ; dans les très petites entreprises, il convient de se demander en effet comment les employeurs procéderont au mesure de l’exposition annuelle de chacun des salariés à la pénibilité. Le risque n'est-il pas que l’alimentation du compte fonctionne à deux vitesses, selon la taille de l’entreprise ? De plus, le but clairement affiché est de limiter le nombre de salariés concernés à 1 salarié sur 5, pour des raisons budgétaires évidemment. Alors qu’aujourd’hui, l’évaluation n’a pas encore été réalisée selon les seuils fixés par les décrets d’octobre dernier pour l’ensemble des salariés, comment tenir cet objectif ? Il convient de se demander si les seuils devront être affinés pour ne pas dépasser ce quota ou si, financièrement, il sera possible de dépasser celui-ci.
Enfin, il est mis en avant la précipitation et la confusion avec laquelle se mène cette mise en place. Nous ne pouvons pas vraiment donner tord à cet argument. La « mode » actuelle semble être clairement de rattacher davantage les droits au salarié lui-même et non plus à l’entreprise à laquelle il appartient (ce qui est cohérent avec la plus grande flexibilité dans les parcours professionnels vers laquelle nous semblons nous diriger). Pourtant, force est de constater que les conditions sont loin d’être réunies pour faire accepter au mieux ces changements… Retards dans la parution des décrets, report partiel de la mesure, effets millefeuille des obligations… Alors que les grandes dates approchent, le flou demeure qu’il s’agisse du compte de pénibilité, de la suppression du DIF au profit du compte personnel de formation, des nouvelles obligations comptables des comités d’entreprises… Quelle triste constance dans la mise en œuvre des grandes réformes de droit social !
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