CHRONIQUES
Le concept du Lean Management : Un terreau fertile pour l’insécurité des travailleurs


Conditions de travail - 23/05/14
Qu’est-ce que le Lean Management ?
Ce concept d’organisation du travail est apparu dans les processus de fabrication de grands groupes industriels français à la fin du XXème siècle (automobile, aéronautique..), puis se sont diffusées plus largement et sont mises en œuvre désormais dans de nombreux secteurs manufacturiers et même dans les activités du secteur tertiaire (services informatiques, bancaires, hospitaliers…) avec le « Lean Office » pour améliorer la performance administrative.
En réalité, il n'y a pas un Lean mais des Lean : le Lean management, le Lean manufacturing, le Lean office, etc. La philosophie reste la même sauf qu'elle est déclinée à différents secteurs d'activité en tenant compte de leur spécificité.
Le Lean Manufacturing propose une méthode en flux tirés (ou tendus) avec une organisation plus légère, plus réactive avec une production « juste à temps » (ou Just In Time) dans laquelle la fabrication d’une pièce est lancée pour satisfaire un besoin déjà existant, visant ainsi à diminuer les besoins en fond de roulement en réduisant les stocks et les en-cours et les frais financiers induits et à diminuer les délais de livraison des commandes en réduisant le cycle de fabrication. C'est à partir de ces constats que la direction va élaborer des « règles de travail ».
Qu’elle impact de ces concepts sur la santé des travailleurs ?
Le Lean, par lui-même, produit une intensification du travail car elle vise une réduction drastique des stocks et une flexibilité de la production en fonction de ce que l’on a vendu. Par voie de conséquence, cette technique crée des sur-sollicitations physiques par élimination des temps d’attente et des déplacements jugés inutiles.
Une étude réalisée par l’INRS confirme ces effets inquiétants sur la santé et la sécurité des travailleurs. Cette étude révèle notamment, une pression croissante sur les opérateurs pour traiter les aléas en urgence, pour augmenter la flexibilité de la production crée de plus des situations stressantes.
Le Lean Management fondés sur une rationalisation abusive des moyens, une augmentation excessive des contraintes organisationnelles temporelles, une exigence trop forte de réactivité et de flexibilité individuelle, une participation illusoire ou manipulatrice aux décisions, présente des risques indéniables de pénibilité physique (troubles musculo-squelettiques de gestes rapides et répétitifs sans temps mort) et de surcharge mentale (troubles psychosomatiques du stress, sur-engagement dans le travail, sentiment d’instrumentalisation).
Le CHSCT : Un acteur indispensable de la prévention !
Avec l’importance grandissante du rôle du CHSCT dans la conduite de la politique sociale et organisationnelle de l’entreprise, il est évident de considérer cette instance comme indispensable lorsqu’il s’agit de mesurer et prévenir l’impact de l’application du lean-management dans les entreprises.
Un projet Lean constitue nécessairement un projet d'aménagement important, C'est pour cette raison que le CHSCT doit être préalablement informé et consulté (article L4612-8 du code du travail). Mais attention, les projets Lean ne sont pas toujours présentés en tant que tels par la direction. Il convient alors de faire preuve de vigilance dans la transmission de l’information.
A ce titre, le fait pour l’employeur de ne donner au CHSCT que des informations sommaires ne comportant pas d'indications relatives aux conséquences sur les conditions de travail des salariés ne permet pas à l’instance de donner un avis utile (Cass. Soc. 25 septembre 2013, n° 12-21747). Outre le risque ultime de délit d’entrave, cela constitue un trouble manifestement illicite justifiant la suspension en référé du projet, dans l’attente des résultats de l’expertise afin que le CHSCT puisse ensuite rendre un avis.
Avis qui reste encore et toujours le sésame patronal avant l’injection. Le principe d’antériorité reste de mise. D’ailleurs, une fois que les postes de gaspillage ont été identifiés et qu'une procédure a été établie par la direction, il est trop tard pour consulter le CHSCT.
Le rôle du CHSCT ne peut et ne doit pas se limiter à un simple avis sur la mise en place du Lean. En effet, son rôle ne s'arrête pas le jour où il est consulté sur les process que la direction souhaite mettre en place après avoir analysé l'ensemble des postes de travail grâce à la méthode du Lean.
« Un projet Lean peut engendrer des transformations importantes des postes de travail découlant de l'organisation du travail, des modifications des cadences et normes de productivités, voire même des aménagements modifiant les conditions de santé et sécurité ou les conditions de travail. Cela justifie donc le recours à un expert » (TGI Nanterre, 6 janv. 2012, n° 11/03192).
L’assistance d’un expertise servira alors à éclairer le comité sur la compréhension du projet, ses enjeux et surtout aux conséquences sur les conditions de travail pour les salariés. Le comité pourrait s'inspirer des préconisations du rapport d'expertise en proposant des projets alternatifs dans l’intérêt des salariés.
Le pare-feu juridiques face à aux techniques de management nocives !
Depuis l’affaire SNECMA (Cass. Soc. 5 mars 2008, n° 06-45888), les décisions judiciaires ne cessent de s’accumuler, avec comme fil directeur le principe selon lequel « l'employeur est tenu, à l'égard de son personnel, d'une obligation de sécurité de résultat qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs ; qu'il lui est interdit, dans l'exercice de son pouvoir de direction, de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés (…) ».
Les mesures mises en place par l’entreprise notamment un observatoire des risques psychosociaux ou encore un « numéro vert », étaient largement insuffisantes car elles ne visaient pas à supprimer le risque à la source mais à intervenir a posteriori une fois le risque révélé.
Le juge peut donc neutraliser une organisation du travail mise en place dans une entreprise lorsque cette organisation compromet la santé mentale des salariés (TGI Lyon 4 septembre 2012, n° 11/05300).
Les questions de santé et de sécurité au travail n’étant jamais loin de la sphère économique au regard de l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur, les juges ont pu suspendre une procédure de licenciement économique collectif. En effet, les magistrats ont pu enjoindre à la société de communiquer une analyse complète des risques psychosociaux générés par le projet de réorganisation avant de pouvoir poursuivre la procédure de licenciement économique collectif (TGI Nanterre référés, 24 mai 2013, n° 13/00480).
Le CHSCT en lien avec le comité d’entreprise peuvent donc exiger d’une direction qu’un projet de lean-management garantie à la source et en amont la sécurité et la santé des salariés au regard de l’obligation de sécurité de résultat qui est à la charge de…l’employeur.
RÉAGIR À CET ARTICLE
Poster un Commentaire