CHRONIQUES
Et si votre patron devenait incognito ?


Règles d'entreprise - 14/02/14
Adapté de l’émission «Undercover Boss», et maintenant présente dans une trentaine de pays, le programme «Patron incognito» a débarqué aussi en France. Déguisée afin de ne pas être reconnu de ses salariés, cette « nouvelle recrue », qu’est le patron, est formée par de vrais salariés aux différents métiers de son entreprise. Une façon d’être confronté au terrain et de mettre « les mains dans le cambouis ». Les caméras qui le suivent ? C'est évidemment pour un reportage sur la réinsertion professionnelle !
Qu'un patron veuille voir quelle est la réalité du travail de ses salariés, c'est plutôt positif. D’ailleurs, nombreux sont les salariés qui ont un jour souhaité que leurs patrons (et parfois mêmes les collègues des autres services) exercent leur métier le temps d’une journée. Une sorte de « Vis ma vie au travail » que pratique certaines entreprises : les nouveaux embauchés sont obligés de faire un tour de piste des différents métiers afin de comprendre les contraintes de chacun, prendre conscience de l’utilité des process de travail imposés (et qui sans vision globale de l’entreprise peuvent paraître superflus !) et cerner plus rapidement sa place dans l’entreprise.
Bref, cette fois c’est la réalité ; les grands patrons changent de poste. Et d’après vous, qu’est-ce qui ressort de cette immersion au cœur des métiers de l’entreprise ? Bien souvent, on constate que les chefs d’entreprise, qui se sont prêtés à ce jeu, ne connaissent absolument pas le travail des salariés et encore moins les difficultés qu’ils rencontrent… Inquiétant, n’est-ce pas ?
En fait, la plupart de ces patrons semblent être complétement hors des réalités de leur entreprise et découvrent l’impact négatif de certaines décisions qui ont pu être prises « d’en haut » mais aussi des écarts importants entre les objectifs et la réalité des moyens mis à disposition des collaborateurs. Sans parler des outils, conditions et autres paramètres d’ergonomie inadaptés (locaux trop petits, cadences intenables, matériels inappropriés…) qu’ils découvrent à moitié effarés ! Ils sont néanmoins heureux de voir les solutions inventées et mise en œuvre par tel ou tel salarié, à titre individuel, pour faire face aux difficultés de son environnement de travail.
Est-ce si surprenant ? Eh bien non, pas vraiment ! Les chefs d’entreprise ont essentiellement connaissance des questions et des difficultés des salariés par le biais d’un encadrement plus souvent soucieux de faire exécuter les décisions prises en haut lieu que de transmettre l’information venant d’en bas. Sans compter que lorsque les informations sont remontées par le canal de la hiérarchie, en plus d’être subjectives, elles sont bien souvent filtrées, atténuées ou même transformées ! Les visites sur le terrain permettent rarement aux employeurs d’en apprendre davantage. En général, préparées à l’avance, tout est briqué, nettoyé, arrangé pour l’occasion ! Rien n’est véritablement spontané. Et lorsqu’un patron se hasarde à aller rencontrer directement les salariés sur le terrain, la plupart sont décontenancés voire impressionnés et cherchent davantage à faire plaisir à l’employeur (ou en tout cas à ne pas se faire mal voir…) qu’à lui faire état de ce qui se passe sur le terrain.
Face à ce constat, les salariés et les représentants du personnel doivent prendre toute la mesure de leur rôle. Ne dit-on pas du comité d’entreprise qu’il est chargé de faire remonter l’expression collective des salariés ? Alors, il est grand temps de faire comprendre à votre employeur que l’écoute de l’autre est une source d’information précieuse. Évidemment, pour que son attitude change, il faut aussi que les salariés prennent conscience que le comité d’entreprise peut (et doit !) être une instance de résolution de problèmes. Il est placé à un carrefour de l’information dans l’entreprise. N’ayez pas peur d’aller à la rencontre de vos élus pour qu'ils collectent vos aspirations, vos difficultés et vos bonnes idées. Ils pourront ensuite prendre le temps de préparer leurs réunions afin de pouvoir faire remonter des informations vérifiées et étayées. Car, s'ils souhaitent être écoutés, il faut qu'ils se montrent force de propositions !
Mais revenons-en à nos moutons ! Dans « patron incognito », les salariés ne sont pas prévenus que la personne à qui ils montrent le métier et se confient sur leurs visions de l’entreprise est en réalité leur grand patron. Heureusement, la présence des caméras fausse un peu les rapports : en se sachant filmer, le bon sens conduit à ne pas faire part de griefs ou de critiques que l’on ne saurait assumer. Qu’importe, on ne dit cependant pas la même chose à un inconnu que l’on ne dirait au chef de son entreprise.
En avançant masqués, les participants à l'émission ne manquent-ils pas de loyauté vis-à-vis de leurs collaborateurs ? Un responsable syndical a d’ailleurs établi un parallèle intéressant avec Louis XI, surnommé « le Sournois » car il se déguisait en bourgeois pour écouter les gens aux carrefours.
La simple surveillance des salariés par leur supérieur hiérarchique sur les lieux du travail, même en l’absence d’information préalable, ne constitue pas, selon la jurisprudence, un mode de preuve illicite. Il reste néanmoins qu’en l’état actuel du droit, la justice interdit de recourir à des stratagèmes où à un mode clandestin de surveillance pour confondre un salarié. Il s’agit de ce que l’on appelle la « loyauté de la preuve ». Le fait que le supérieur soit déguisé et se présente sous une fausse identité change donc complétement la donne ! Pour constituer un moyen de preuve licite, il faudrait donc que les salariés aient été préalablement informés... Il y a donc fort à parier qu’une preuve recueillie dans les conditions qui sont celles de « Patron Incognito » ne serait pas admissible et ne pourrait être utilisée pour justifier une sanction !
Oui certes ! Mais cela ne pourrait-il pas donner des pistes aux employeurs ? Selon un journal local, une des salariées ayant formé son employeur lors de l’émission Patron Incognito a été licenciée pour faute lourde trois mois après le tournage. D’après les propos de son ex-employeur, il n’y a aucun lien entre les événements ; son licenciement n’a rien à voir avec le passage du responsable dans son agence. Bon… Pourtant, il s’agissait justement d’une salariée qui s’était fait remarquer pour ne pas avoir respecté toutes les procédures en place et avoir avoué ne pas savoir pour quelle raison elle avait été recrutée… Et vous, connaissez-vous vraiment le vrai visage de votre patron ?
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